- ALIGHIERO E BOETTI
- ALIGHIERO E BOETTIALIGHIERO E BOETTI 1940-1994L’artiste italien Alighiero e Boetti a été l’un des protagonistes majeurs des manifestations liées à l’arte povera organisées par le critique Germano Celant; ses premières réalisations peuvent être assimilées à cette praxis, qui “consiste à éliminer, supprimer, appauvrir les signes pour les réduire à des archétypes”. Cependant, Boetti s’oriente très vite vers un tout autre type de propositions, fondées sur des mécanismes conceptuels où se mêlent processus d’élaboration et mise en situation d’attitudes et de comportements qui participent de l’œuvre. Boetti décrit, avec beaucoup d’ironie, les prétendues étapes de sa carrière foisonnante et inclassable: “Des incendies, à partir de 1946, j’en ai provoqué sans interruption jusqu’à aujourd’hui, avec toutes sortes de matériaux. En 1954, il m’a fallu trois jours pour reconstituer un manuscrit que j’avais précédemment mis en pièces, deux heures pour mettre bout à bout trois cent quarante-deux allumettes, un instant pour mettre un poids sur une toile d’araignée...”C’est à Turin, sa ville natale, et à la galerie Christian Stein qu’Alighiero e Boetti expose pour la première fois. L’artiste y présente un ensemble de pièces aux formes rigoureuses, réalisées à partir de matériaux empruntés au monde industriel: cartons ondulés, effets lumineux, tubes d’Eternit, tissu destiné aux vêtements militaires, napperons de pâtissier, etc. Les œuvres de cette période, telle La Lampada annuale (lampe annuelle), qui ne s’allume qu’une fois par an pendant onze secondes sans que l’on sache exactement à quel moment, ou Tessuto mimetico, grand tableau réalisé avec du tissu de camouflage monté sur châssis, remettent en question les lois de la composition traditionnelle, pour s’affirmer, comme l’écrit Germano Celant, en tant que “gestuelle univoque qui entraîne tous les processus possibles de formation ou d’organisation, libérés de toute contingence historique ou matérielle”. En opérant à partir de tels matériaux utilisés en tant qu’éléments libérateurs, Alighiero e Boetti, comme nombre d’artistes liés à l’arte povera, jette les base d’une poétique de l’espace qui devient à la fois lieu de multiples tensions et lieu d’activation de toutes les énergies. Cependant, avec une pièce comme Ping-pong , constituée de deux panneaux qui s’allument alternativement, l’artiste met en place les données d’un jeu dialectique entre concept et réalisation, apparence et illusion, ordre et désordre, hasard et nécessité, notions constantes d’un cheminement très inventif.En 1968, Boetti expédie cinquante cartes postales sur lesquelles il s’est représenté accompagné de son double (Gemelli : les Gémeaux) et décide d’associer désormais son nom à son prénom. Il intervient désormais sous le patronyme d’Alighiero e Boetti. Avant de quitter Turin pour s’installer définitivement à Rome, l’artiste recense et classe les milles fleuves les plus longs du monde en collaboration avec des instituts géographiques, l’U.N.E.S.C.O. et l’université de Turin. Cette enquête systématique sera concrétisée par un immense tableau brodé, daté de 1970-1977. Dans le même temps, Boetti réalise l’une de ses premières et innombrables œuvres philatéliques, proposant toutes sortes de combinaisons possibles dans l’agencement des timbres-poste collés sur les enveloppes et dans le déroulement parfois imprévisible des trajets suivis par ces enveloppes. La dernière de ces grandes compositions, De bouche à oreille , a été réalisée peu de temps avant sa mort, et exposée au musée de la Poste, à Paris.À partir de 1971, l’artiste entreprend une série de voyages en Orient, où il demande à des artisans afghans d’exécuter certaines de ses œuvres selon des procédés millénaires. Ainsi la série des Mappa (cartes) marque l’engagement de l’artiste dans la géographie sociale et implique l’idée d’une collaboration fondée sur le partage du travail. La grande pièce présentée au Magasin, à Grenoble, en 1993, En alternant de 1 à 100 , peut être considérée comme l’aboutissement de ce type de processus. À partir d’un ensemble de grilles fonctionnant comme autant d’échiquiers, Alighiero e Boetti a demandé à trente écoles d’art et à vingt professionnels du milieu de l’art de noircir les cases selon leurs intentions, avec comme seule règle imposée par l’artiste une progression quantitative du noir au blanc. L’ensemble des planches ainsi dessinées a ensuite été distribué à des tisserands de kilims, qui ont réalisé cinquante tapis, qui furent installés au sol selon une véritable mise en scène liée aux rythmes de méditation. La rigueur et l’austérité d’un code préalablement défini par l’artiste s’y conjuguaient avec le raffinement d’une technique artisanale qui implique nécessairement l’aléatoire. “Le désordre inhérent à toute classification et à tout ordre était, écrit Alain Cueff, l’une des failles de la rationalité qu’il explorait avec le plus de jubilation.” Alighiero e Boetti est en effet ce “passeur” entre deux mondes, l’Occident et l’Orient, entre deux univers créatifs. Ordine e Disordine (ordre et désordre) est le titre de l’une de ses pièces les plus célèbres. Seize lettres, comme pour Alighiero e Boetti, quatre fois quatre, un carré parfait, que les femmes de Pesh war ont brodé ensuite de mille couleurs. Comme tous les artistes de l’arte povera, Alighiero e Boetti a été exposé dans les galeries et les institutions du monde entier. Il fut en particulier l’un des invités de Quand les attitudes deviennent formes à Berne en 1969, de Westkunst à Cologne en 1981 et des Magiciens de la terre à Paris en 1989. Il a reçu en 1990 le grand prix de sculpture lors de la XLIVe biennale de Venise.
Encyclopédie Universelle. 2012.